Le
Beatle aux yeux tristes.
Formidable,
"le mensuel de tous les jeunes", est, comme son nom l'indique, un
magazine lancé en 1965 en direction des adolescents et, plus particulièrement,
des adolescents intéressés par la culture et la musique de leur génération.
Le numéro
6, paru en mars 1966, propose un sujet intéressant consacré à Ringo Starr,
baptisé pour l'occasion le "Beatle triste".
L'auteur
de l'article a rencontré Ringo Starr sur le plateau de tournage de "Help
!" et relate ce que Ringo lui a raconté. Le magazine a pris son temps pour
publier cet article en mars 1966, le tournage de "Help !" ayant eu
lieu environ un an avant.
Le
reportage, signé d'un certain Robert Deardoff, est de fort bonne tenue en
regard de ce que l'on pouvait lire au sujet des Beatles dans la presse
française de ces années là, et se lit avec beaucoup de plaisir. On y découvre
un Ringo attachant qui délivre une vision toute simple de sa vie de
"Beatle" au quotidien avec les bons côtés de la chose mais aussi les
moins bons.
C'est
cependant avec un certain sourire qu'on découvre une explication originale du
remplacement de Pete Best, délivrée par Ringo lui-même.
Enfin, on
appréciera en couverture un cliché de Ringo coiffé du bicorne de Napoléon,
photo extraite de la fameuse session "parisienne" de février 1964 au
cours de laquelle fut pris le cliché qui se retrouvera sur la pochette du très
recherché EP français SOE 3739 dans sa variante "sandwich".
Ca y est ... Aux dernières nouvelles, Ringo a encore dû déménager. Les fans
siégeaient nuit et jour devant son domicile, emplissant le quartier de leurs
"I,i,i" perçants. Les voisins passaient d'agréables nuits blanches !
Alors, ils ont fait à leur tour le siège du propriétaire, et Ringo a dû aller
chercher fortune ailleurs ...
Ringo est le batteur des Beatles, cela, tout le monde le sait. Il a été décoré
de l'ordre du très excellent Ordre de l'Empire Britannique avec Paul, George et
John. Tout le monde le sait aussi. Il a été le héros d'un film "Help
!". C'est le secret de polichinelle. Mais qui est le véritable Ringo,
celui qu'on a appelé le "Beatle Triste" ? Que se cache-t-il sous la
plus célèbre tignasse du monde ? "Moi, Triste ? Bien sûr, j'ai une tête
qui ne sourit pas beaucoup. J'ai beau me sentir tout joyeux à l'intérieur, ça
ne parait jamais". Il est aussi le dernier venu des Beatles, celui qui a
fait le moins d'études, et le seul qui soit issu d'une famille pauvre. Dans le
monde des variétés, les artistes célèbres font subir de légères retouches à
leurs origines. Ce n'est pas le cas de Ringo. Il ne cherche pas à camoufler la
pauvreté de sa famille... Il est sorti du peuple, et il en est fier.
La première fois que je rencontrai Ringo, c'était un matin pendant le tournage
de "Help". Ringo était tendu. Il me serra la main poliment puis disparut
devant la caméra. Jusqu'à 4 heures de l'après-midi, il tourna la fameuse scène
où sa veste était tellement entortillée de fils que sa manche s'envolait et
planait dans les airs. Mais les fils ne fonctionnaient pas bien et Ringo du
répéter la scène quantité de fois. Quand la scène fut achevée, il était 3
heures de l'après-midi. Il s'approcha aussitôt de moi, s'excusant de m'avoir
fait attendre. Ce soir là, au lieu de se précipiter chez lui comme il en avait
l'habitude, il téléphona à sa femme puis il me dit "Ça y est ... je suis
prêt ..." Alors, devant un verre de stout, Ringo se mit à parler.
- Que voulez vous que je vous raconte ? Ma vie ? Je suis né le 7 juillet 1940,
dans un quartier de Liverpool, près du port. Comme partout dans les ports, ce
n'est guère joli, mais j'y étais heureux. Je suis fils unique. Mon vrai nom est
Richard Starkey. Mes parents ont divorcé quand j'étais encore tout petit, et ma
mère s'est remariée par la suite. Je n'ai aucun souvenir de mon père. Nous
n'étions pas riches à ce moment là, croyez-moi. Ma mère a travaillé toute sa
vie. Elle a d'abord été serveuse dans un bar, puis vendeuse chez un marchand de
fruits.
J'ETAIS FASCINE PAR UN
TAMBOUR.
- Depuis mon tout jeune âge, je me suis intéressé à la musique. Quand j'allais
à l'école, je passais devant un magasin où on vendait des instruments de
musique d'occasion. Dans la vitrine il n'y avait qu'un tambour. Il coûtait 90 F,
je m'en souviens. Une fortune pour moi, à cette époque. Je me disais : comme je
voudrais l'avoir ce tambour ! Mais c'était impossible. A quinze ans, me voilà à
l'hôpital pour une année. Une pneumonie. Je ne suis pas retourné à l'école
après ma sortie de l'hôpital. J'ai trouvé une place de garçon de courses dans
les Chemins de Fer, mais j'ai été viré au bout de cinq semaines. Je me rappelle
plus pourquoi. Peut être étais-je trop insolent. Apres cela, je me suis engagé
dans la marine marchande, mais je n'y suis resté que quelques semaines. J'ai
fini par me caser comme apprenti menuisier ... Sur mon salaire, je me suis payé
mon premier tambour, qui m'a coûté 20 F. Ça faisait un de ces bruits quand je
jouais ! Incroyable !
JE DÉBUTE DANS UN CLUB
DE QUARTIER.
J'ai fait mes débuts de batteur dans un groupe de quartier, je touchais 20 F
environ par soirée. Plus tard, j'ai joué en même temps avec deux groupes. Je
gagnais ainsi dans les 70 F par semaine. Pour moi c'était le Pérou ! Et puis un
jour, on m'a offert d'aller jouer dans un camp d'été : 230 F par semaine ! Je
n'en revenais pas. Le groupe dans lequel je jouais, Rory Storm et les
Hurricanes, faisait la tournée des bases américaines en France. Un jour, nous
sommes allés en Allemagne, à Hambourg. C'est là que nous nous sommes liés
d'amitié avec les Beatles qui se trouvaient par là eux aussi. De retour à
Liverpool, je jouais toujours avec les Hurricanes quand Pete Best, le batteur
des Beatles est tombé malade. Ils m'ont alors demandé de le remplacer. A cette
époque, les Beatles n'étaient pas encore célèbres. N'empêche qu'ils se
faisaient déjà les meilleures recettes de tout Liverpool. Je crois que ce soir
là, j'ai touché plus de 70 F. Cela se passait en 1962. Puis le batteur est de
nouveau tombé malade et je l'ai encore remplacé. Quand il fut évident que Pete
ne pourrait plus reprendre son poste, les Beatles me demandèrent d'entrer
définitivement dans leur groupe.
RINGO JAMAIS ! CLAMAIT
LA FOULE.
La première fois que je jouais comme Beatle à part entière, une partie de la
foule se mit à hurler "Pete Toujours, Ringo Jamais" L'autre partie
hurlait exactement le contraire. Personne, à ce moment, ne prévoyait le
fantastique succès des Beatles. Nous ne rêvions même pas de nous produire à
Londres. Le 5 Octobre 1962 parut notre premier disque "Love Me Do".
Il se plaça dans les 47 ou 48ème sur 50 au Hit-Parade anglais, c'était déjà un
succès merveilleux. En 1963, deuxième disque qui, lui, grimpa à la première
place. Puis un troisième qui connut le même succès. L'été de cette année là, Ed
Sullivan, l'animateur d'un show très populaire à la télévision américaine,
signa un contrat pour nos débuts aux USA. Cela se passait pendant l'hiver
1963/1964. Un soir, dans un club de Liverpool où je jouais avec les Beatles, je
repère une fille dans l'auditoire; après une séance, je m'approche d'elle et
lui demande "Voulez vous que je vous reconduise chez vous ?" Elle me
répond "J'ai une amie avec moi". "OK ! je vous ramène toutes les
deux" Mais j'étais un peu dépité. La fille s'appelait Maureen Cox.
ECOUTEZ, JE VOUS RAMÈNE TOUTE SEULE.
Après cela je ne l'ai pas revue de toute une semaine. Mais, chaque fois que je
la revoyais et que je lui proposais de la ramener chez elle en voiture, elle me
répondait toujours : "j'ai une amie avec moi". Un jour, furieux je
lui réponds "écoutez, je vous ramène vous toute seule. Deux, c'est trop
!" A partir de ce moment nous sommes partis régulièrement ensemble. Enfin,
assez régulièrement car dans mon métier, il est difficile qu'il en soit autrement.
J'étais souvent en tournée. A mon retour des Etats Unis, j'ai du me faire
opérer des amygdales. Elle est venue me voir à l'hôpital. Je lui ai demandé :
"Voulez vous être ma femme ?" Elle me répondit "Oui".
MES ENNUIS PERSISTANTS
AVEC LES VOISINS.
Pendant notre lune de miel, nous avons dû nous cacher pour nous protéger de ces
filles hystériques de 14-15 ans qui pourchassent les Beatles dans les cinq
continents. Vous avez quelquefois entendu ces filles crier ? Il y a de quoi
devenir fou ! Ce ne sont pas vraiment des fans, les vrais fans ne réagissent
pas de cette manière. Ce sont des folles ... Depuis le début elles n'arrêtent
pas de tirer sur la sonnette et de donner des coups de pieds à la porte. J'ai
beau descendre de temps en temps pour signer leurs carnets d'autographes, elles
ne sont jamais contentes. Elles reviennent soir après soir, toujours les mêmes.
Vous savez ce qui est arrivé ? les voisins ont signé une pétition, et en 18
mois, trois propriétaires différents ont exigé mon départ. Une des raisons pour
lesquelles George, Paul et moi aimons faire des films, c'est que, dans un
studio, nous sommes protégés. Mais même ainsi, tous les après-midis, la rue est
bondée de filles. La porte du studio a beau être gardée par deux ou trois
policemen, quelques filles réussissent toujours à franchir le barrage,
profitant du passage d'une voiture. Aussitôt qu'elles aperçoivent l'un de nous
quatre, elles se mettent à pousser les "I,i-i-i-i" suraigus, qui sont
devenus leur cri de guerre. C'est pour échapper à ces hystériques que je ne
pars jamais en vacances. Je reste à la maison et je me risque au dehors que si
je suis accompagné de gens capables de me protéger. Jusqu'ici aucun accident
sérieux ne s'est produit. A New York, une fille a quand même réussi à déchirer
ma chemise et à m'arracher une bague de Saint Christophe que je portais autour
du cou. C'est pour prévenir un accident possible que, très souvent, la police
ne nous permet de passer la nuit dans la ville où nous avons joué. On nous
kidnappe pour nous transporter dans un hôtel en pleine campagne.
AVEC MAUREEN, TOUT
REDEVIENT NORMAL.
Après mon voyage de noces à Brighton, j'ai acheté un appartement à Londres.
C'est Maureen qui s'en occupe, aidée de la femme de mon chauffeur. Maureen est
mon ancre de salut. Avec elle, je reviens à la réalité. Tout redevient normal
quand je retourne à la maison. Je lui raconte ce que j'ai fait pendant la
tournée. Elle fait de même. Quand nous avons sorti un nouveau disque, je lui fais
entendre, et je lui demande "Qu'en penses-tu ?" ... Oui, avec elle,
tout redevient normal. C'est une femme très douce, tranquille. Je suis heureux
qu'elle soit ainsi. Je ne veux pas qu'elle vive dans le tohu-bohu du monde des
variétés. Pour être heureux dans son foyer, il faut beaucoup de patience. Même
si l'on se connait depuis longtemps, tout change avec le mariage. On a
davantage de responsabilités, surtout lorsqu'on a un enfant, comme c'est le cas
pour moi. Dans un ménage, la chose la plus importante, c'est la compréhension.
Il faut savoir confronter ses points de vue. Ca ne servirait à rien si je
disais à Maureen : "C'est moi le patron !" Pour revenir à mon enfant,
je crois que l'essentiel est de l'aimer et d'essayer de le comprendre. Je ne le
talonnerai pas dans ses études. S'il décroche des diplômes, tant mieux... mais
c'est lui qui décidera de ce qu'il fera dans la vie.
JE ME SUIS RÉSIGNÉ A
LA PERTE DE MA LIBERTÉ.
Mon avenir et celui des Beatles ? Voilà une question qu'on me pose souvent.
Nous en avons discuté avec Maureen. Oui, un jour viendra où les Beatles seront
démodés. Quoi qu'il en soit, j'aimerais arrêter les tournées à trente ans, car
ma famille aura besoin de moi. Quant à mon avenir financier, je ne suis pas en
peine. J'ai suivi l'exemple d'un de mes amis. Il y a quelques années, il
vendait des pommes de terre de porte en porte. Puis il a emprunté de l'argent,
et a construit une maison. Avec les bénéfices résultant de la vente de la
maison, il en a acheté une autre, et ainsi de suite. J'ai été impressionné par
cet homme, car il était parti de rien. Nous nous sommes associés pour monter
une société, et maintenant, nous construisons ensemble onze maisons ! Bien sûr
la célébrité a changé ma vie. C'est ainsi qu'il est plus difficile pour moi de
me faire des amis, parce que les gens me regardent différemment. Je me demande
toujours s'ils m'aiment pour moi ou pour mon succès. Je me suis résigné à la
perte de ma liberté. Je dois me déplacer la nuit, ou alors me faire accompagner
par des gardes. Je commence à en avoir assez des tournées... Ce que je
voudrais, c'est acheter une maison de campagne. Je connaîtrai un peu de repos.
Reportage : Robert Deardoff
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