La fausse question du mois
Beatles ou
stones ?
Soixante ans après avoir révolutionné la chanson
populaire, les quatre lads de Liverpool et les sales gosses est-londoniens
continuent à alimenter le marché en coffrets, albums remastérisés, livres et
DVD. Préparez vos mouchoirs et sortez votre carte bleue.
À l’heure où
se multiplient les revendications identitaires — individuelles, communautaires,
nationales—, et où triomphent tant de droits à la différence qu’aucune
communauté politique ne sera bientôt possible, la question « êtes-vous Beatles
ou Stones? » paraît bien désuète. En 2019, on n’a plus à choisir entre les
huîtres et les escargots —comme dans Spartacus de Kubrick— ni entre les
Beatles, soi-disant apolliniens ou « conservateurs » de « Yesterday » et les
Stones, dionysiaques ou « progressistes », de « Satisfaction » . Après tout,
c’est bien Mick Jagger qui fut inscrit à la London School of Economics, pas
Lennon ou Mc Cartney. Quant aux Beatles, c’était de vrais bad boys , comparés
au pionnier Cliff Richard, avant qu’Andrew Loog Oldham, publiciste officiant
pour le compte de Brian Epstein avant de devenir manager des Stones, ne façonne
l’image de ces derniers comme leur teigneuse antithèse. Ce qui distingue
véritablement ces deux groupes majeurs des années 60, tout autant marqués par
le rock de Little Richard et Chuck Berry, c’est que les quatre gars de
Liverpool ont écrit les Tables de la loi de la musique pop. Que ce soit
l’hybridation stylistique (baroque, nursery rhymes, blues, rock, Motown...),
l’expérimentation électro-acoustique (« Tomorrow Never Knows »),
l’élargissement de la tonalité par la modalité et les emprunts aux musiques du
monde (« Within You Without You »), le néo-classicisme (« Eleanor Rigby »), le
hard rock (« Helter Skelter ») ou le postmodernisme (« Good Night »), il n’est
pas une option que les Beatles n’aient pas prévue et explorée, ce qui leur a
permis de se réinventer stylistiquement, à chaque parution discographique,
comme aucun artiste de variétés avant eux. Les Stones, bien qu’apprenant vite
et capables, dès 1966, de torcher une cavalcade rock (« Paint It Black ») comme
une ballade néoélisabéthaine (« Lady Jane »), étaient incontestablement moins
éclectiques. Leur force était et demeure ailleurs. Partis pour être des
passeurs du blues, tel leur contemporain Eric Clapton, ils se sont imposés
comme l’incarnation physique et scénique de ce patrimoine ignoré par l’Amérique
blanche, ou plutôt d’une musique encore plus diabolique et sexuelle : une
synthèse de blues, de country, de rhythm n’blues, de gospel et de rock n’roll
pionnier, devenue leur signature et qui fait le prix de Sticky Fingers Let
It Bleed Beggars Banquet et Exile On Main Street .
LA RELIGION DU SEXE
Difficile après
l’évocation de tels chefs-d’œuvre, de reparler des Beatles. Mais force est
d’avouer qu’avant d’embrasser définitivement le culte stonien dans les années
70, ce qui était facile vu que les Beatles s’étaient séparés, nous fûmes
nombreux à avoir usé jusqu’à la corde, le 45t « Hello Goodbye/I Am The Walrus »
qui reparaît aujourd’hui dans un coffret regroupant tous les singles des Fab
Four, pour tenter de comprendre la recette d’un tel miracle, comme nous le
ferions avec « Here Comes The Sun », « Because », « Sun King » et « Come
Together », parmi les titres les plus fascinants d’ Abbey Road . Cet album, le
dernier à avoir été gravé par le groupe, fait l’objet d’un nouveau coffret qui
s’est aussitôt classé N°1 des ventes mondiales, et offre un nouveau mix signé
du fils de George Martin, nombre d’inédits et prises alternatives et un Blu-ray
exaltant le mystère sonore et transcendantal des joyaux suscités. Heureusement,
quelques mesures de « Live With me » ou de « Bitch » captées au Marquee Club de
Londres le 26 mars 1971, suffisent à nous rappeler à l’ordre et au pacte passé,
depuis la tendre enfance, avec la religion du sexe, de la drogue et du rock
n’roll. Plus sexy, vénéneux et violent que Mick Jagger et son gang, à la veille
de tétaniser les États-Unis puis l’Europe avec Sticky Fingers Exile On Main
Street , et les tournées mythiques de 1972 et 1973, cela n’existe tout
simplement pas. Déjà paru il y a quatre ans dans la collection « From The Vault
», ce concert filmé pour la télévision américaine reparaît pour les fêtes de
fin d’année en boitier cristal, en même temps qu’un livre publié par GM
Éditions et Carlotta ( The Rolling Stones On Stage ) assorti du Blu-ray de
Shine A Light de Martin Scorsese, et, enfin, que Bridges To Buenos Aires ,
Blu-ray filmé durant la résidence des Stones au stade River Plate de Buenos
Aires en avril 1998.
On ne répètera
jamais assez que depuis leur résurrection en 1989 avec la tournée « Steel
Wheels », les Stones ont donné des concerts extraordinaires, permettant
d’écouter des titres très rarement joués, de « Monkey Man » à « Sway » en
passant par « She’s A Rainbow », « Cant’ You Hear Me Knockin », « 2000 Light
Years From Home » et « Stray Cat Blues ». S’il n’offre que les maigres « Little
Queenie » et « When the Whip Comes Down », en comparaison de la salve 60’s («
Ruby Tuesday », « 19 Nervous Breakdown », « Under My Thumb », « The Last Time
») qui nous fit défaillir de bonheur en septembre 1997, au Soldier Field de
Chicago, où fut lancée la tournée mondiale consécutive à la publication de «
Bridges To Babylon », la performance du groupe, quelques mois plus tard, au
River Plate de Buenos Aires, fait partie des plus percutantes à avoir fait
récemment l’objet d’une édition DVD.
Certains doutent
peut-être encore de l’importance des Rolling Stones. On leur conseillera de
relire la Bible. On y lit qu’il n’est pas bon pour l’homme de rester seul.
C’est pourquoi Dieu, après avoir s’être fait la main sur les Beatles, a créé
les Rolling Stones. Les meilleurs amis de l’homme. Son chef-d’œuvre.
Eric Dahan
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire