Les
Beatles en pantoufles
LUI, "le magazine de l'homme
moderne", est un mensuel créé en novembre 1963 par Daniel Filipacchi, déjà
créateur du mensuel "Salut les Copains". Très représentatif d'une
certaine presse de charme privilégiant l'esthétique et se voulant l'équivalent
français du "Playboy" américain, ses audaces de l'époque paraissent
bien timides aujourd'hui. Il fut aussi le témoin représentatif de la société
des années '60 et, à ce titre, de nombreux articles furent consacrés à tous les
phénomènes à la mode et à toutes les personnalités qui faisaient parler
d'elles.
Il
est donc tout à fait normal d'y retrouver un reportage sur les Beatles.
L'article
reproduit ci-dessous, extrait du numéro 38 de février 1967 - avec l'actrice
Alexandra Stewart en couverture - aborde un sujet original puisqu'il
s'intéresse aux maisons des Beatles. Assez curieusement, si l'article est
abondamment illustré, on n'y trouve aucune photo des Beatles eux-mêmes. Les
vues aériennes des propriétés des Beatles sont accompagnées de la reproduction
de quelques oeuvres d'Alan Aldridge, auteur du célèbre "Beatles
Illustrated Lyrics".
Quant
au texte, il est fidèle au traitement que la presse française a souvent réservé
aux Beatles, à savoir qu'il contient son lot de dérision de plus ou moins bon
goût, de perles et de curiosités.
Florilège
: on y apprend que les chansons "Taxman", "Yellow
Submarine" "Dr Robert" "Eleanor Rigby" ont été
composées la même nuit, que "I Want To Hold Your Hand" fut leur
premier hit (sympa pour "Please Please Me"). Autre anecdote qui fait
frémir : "On raconte qu'un jour, John Lennon entra dans un Lyon's et commanda
des œufs au bacon et des chips mais ne put les manger !". A ne pas rater
non plus, les considérations sur le parc automobile des Beatles. Autre
information hautement édifiante : "Dans son jardin, Paul a fait installer
son propre réverbère."
Comme les trois mousquetaires, ils sont quatre : Ringo Starr, Paul McCartney,
George Harrison et John Lennon. Les Beatles, eux aussi, sont au service de la
Reine. Simplement, ils ont troqué leur épée pour le micro, leur dague pour la
guitare et leur perruque pour d'authentiques cheveux longs. Et le Royaume Uni,
reconnaissant leurs bons et loyaux services, les a décorés de l'Ordre de
l'Empire Britannique. Désormais ces quatre mousquetaires de Liverpool sont de
très honorables Gentlemen. Il leur a suffi d'une nuit pour que quatre chansons
naissent : "Taxman", "Yellow Submarine" "Dr
Robert" "Eleanor Rigby", quatre chansons qui ont
considérablement renfloué la Banque d'Angleterre et permis à leurs auteurs et interprètes
de s'isoler à l'abri de tous les regards indiscrets. Et lorsqu'on sait avec
quelle ardeur leurs admiratrices les poursuivent, on comprend dès lors leur
volonté de s'isoler, d'oublier enfin tous les autres pour ne se consacrer qu'à
eux mêmes. Aussi Peter Laurie a-t-il dû mobiliser une escadrille de Stamps pour
photographier sans soucis leurs quartiers généraux.
Taxman rime avec
argent. L'argent qui ne leur a jamais fait faux bond depuis
leur premier succès. En effet, leur premier "hit" fut "I Want To
Hold Your Hand", dont les sondages indiquent qu'il fut vendu à plus de dix
millions d'exemplaires. Il fut également numéro un au hit parade des Etats-Unis
pendant sept semaines. Les Beatles ont été premiers au Hit Parade, douze fois
en Grande-Bretagne, treize fois aux Etats-Unis. Leur pays leur a décerné six
disques d'or, plus que pour tout autre artiste dans l'histoire du music-hall.
Les Beatles ont fondé une compagnie au titre évocateur. Les Beatles Limited,
détenant des actions de 100 Livres. Chacun a sa façon de dépenser ses bénéfices
: John par exemple a offert une maison de 25000 livres à sa tante Mimi pour la
remercier de s'être occupé de lui pendant son enfance. Paul a acheté à son père
un cheval de course appelé Drake's drum (le tambour de Drake). Curieusement,
George ne porte jamais d'argent sur lui. Quant à Ringo, seulement quand il sort
avec sa femme Maureen. Bref, il semble que les Beatles n'aient, pour l'instant
aucun problème d'argent. Et pour leur ressembler, essayez donc vous aussi
d'avoir une voix d'or.
Dr Robert rime avec
Médecine. Lorsque les Beatles se produisirent à Munich, pour
enrayer la panique qui gagnait leurs supporters, la police fit appel à un
psychiatre réputé, le docteur Rolf Umbach, qui conseilla de diffuser leurs
disques. Les renforts de police n'eurent pas à intervenir. Par ailleurs, pour
évangéliser les jeunes, à Essex, on diffuse dans une église, les
enregistrements des Beatles sans aucune anicroche.
Eleanor Rigby rime
avec solitude. Pendant leur séjour au Japon, les Beatles furent
mis aux arrêts... Prisonniers dans l'hôtel qui leur était entièrement réservé,
ils se mirent à peindre et couvrirent les murs d'aquarelles diverses. Comme ils
ne pouvaient voir le Japon, ils exigèrent que le Japon vienne à eux. Par
dizaines, les marchands se succédèrent dans leurs chambres. Paul était le plus
acharné. Il achetait tout. Et, quand on lui demanda quelle était sa véritable
passion, il répondit "la poussière". Quand à John, il répète souvent
qu'il ne voudrait pas être célèbre. C'est lui qui écrit la majeure partie des
paroles des chansons du groupe, et Paul McCartney les met en musique. John est
également romancier. Son premier roman s'intitulait "en flagrant
délire", et le second "Spaniard In The Works". On raconte que
lorsqu'il eut lu "Finnegans Wake" de James Joyce, John s'écria :
"Mais c'est mon père spirituel !". Ringo, lui, dit qu'il a fallu 18
mois avant de se sentir un vrai Beatle. Un Beatle de charme et de choc, un
Beatle qui choque non pas tant par ses chansons que par sa façon de répondre
aux journalistes. En effet, Ringo est un spécialiste des canulars. Et c'est
avec une grande science qu'il les prépare. Souvent, il réveille ses victimes,
au milieu de la nuit, pour se moquer d'elles sous de faux prétextes.
Yellow Submarine (le
sous marin vert), lui, rime avec voyage. En quelque partie du
monde qu'ils se produisent, les Beatles déchainent les passions. Leurs
supporters ne savent comment prouver leur sympathie. Aux Indes, les Beatles
échappèrent de justesse à un commando d'admirateurs chevauchant d'énormes
motos. A Los Angeles, la police chargea leurs fans. Au Portugal, il leur est
interdit de chanter car les autorités craignent qu'un concert puisse dégénérer
en manifestation contre Salazar. A Minneapolis, pour être plus près d'eux, des
journalistes s'engagèrent comme garçons d'étage dans leur hôtel. On raconte
qu'un jour, John Lennon entra dans un Lyon's et commanda des oeufs au bacon et
des chips mais ne put les manger !
John Lennon habite Weybridge. Il n'aime pas sa maison qu'il a baptisée par dérision
"Hansel et Gretel". D'ailleurs, il ne l'a probablement pas visitée
avant de l'acheter. Ainsi regrette t'il que le fond de sa piscine ne soit pas
constitué de miroirs. Les fenêtres, pour résister aux assauts de ses
admirateurs, ont été blindées et teintées. Et c'est avec humour que John Lennon
se plaint de cette situation puisqu'il envisage l'avenir sous la forme d'une
bicyclette aux fenêtres noires. A sa disposition, une secrétaire qui lui sert
aussi de gouvernante, et un chauffeur. Dans son garage, quatre voitures côte à
côte: une Ferrari, une Rolls-Royce, une Mini-Cooper S et une Volkswagen. A
l'intérieur de chaque voiture, un magnétophone et des tapis de laine. Dans la
Rolls, une télévision, un bar, un réfrigérateur et un téléphone. Les Beatles
sont tous des Passionnés de Voitures et de conduite sportive. Tous possèdent,
évidemment, plusieurs automobiles. Chaque Beatle est propriétaire d'une
Mini-Cooper S. Outre cette mini voiture, ils disposent soit d'une Ferrari, soit
d'une Aston Martin ou d'une Rolls Royce. A chacun selon son "goût" et
ses réserves suisses.
Paul McCartney habite St John's Wood. Il n'apprécie ni Esher ni Weybridge où les autres
Beatles ont leur résidence. Il préfère demeurer un peu à l'écart. Un couple, Mr
and Mrs Kelly, est à son service. Dans son jardin, Paul a fait installer son
propre réverbère. Sa maison est entourée de hauts murs. Chez lui, Paul entend
être en paix. Voitures : Aston Martin et Mini-Cooper multicolore.
Ringo Starr habite
Weybridge, au pied de la colline où John Lennon a installé sa
propre maison. De style Tudor, sa résidence fait l'admiration des autres
Beatles qui s'extasient devant l'harmonie des couleurs choisies avec l'aide du
décorateur Ronnie Oke. De sa salle de bains, il n'a qu'un pas à faire pour
atteindre son salon qui abrite sa collection d'armes. Ringo est très fier de
cette collection qui comporte aussi bien des fusils et des pistolets que des
piques et des couteaux. Des qu'il en a l'occasion, il parcourt les magasins
d'antiquités à la recherche de pièces rares ou manquantes à son tableau.
Fanatique de télévision, il possède les quatre chaines et multiplie à plaisir
les antennes. Il surnomme son bar "la vache volante". Sa propriété
est ceinturée de tous les côtés par du fil de fer barbelé. Voitures : Facel Vega,
deux Mini, toutes de couleur purée de marrons. Pourquoi pas ?
George Harrison habite
Esher. Sa maison de campagne, blanche et ensoleillée, s'abrite
derrière de vieux murs de brique. Sa piscine, à ciel ouvert, fait rêver les
girls d'Angleterre. Son personnel se réduit à la seule présence d'une femme de
ménage, Margaret, qui veille sur lui comme sur son enfant le plus cher. Ne
pouvant se passer de musique, George s'est fait construire un véritable
auditorium dans lequel il se livre tout entier au plaisir de la création,
jonglant avec les magnétophones, les électrophones et les juke boxes les plus
perfectionnés. De plus, sa bibliothèque est l'objet d'un véritable culte. Il y
rassemble les ouvrages les plus rares. Enfin, sa maison est célèbre non
seulement par son actualité mais par le passé qu'elle évoque. En effet, la
Reine Victoria allait souvent de reposer à quelques centaines de mètres de là,
dans son pavillon de chasse. George, lui, pour se reposer, étudie le sitar, cet
instrument indien. Afin de se familiariser avec son emploi, il effectua un
voyage à Bombay avec sa femme, et rencontra Ravi Shankar qui l'initia. Depuis,
George passe de longues heures à en jouer. Voitures : Ferrari et Mini-Cooper.